La drague est une activité qui s’exerce au quotidien au Congo. Du plus direct au plus gentleman ou poétique, tout est une question de technique. Plongée dans un art polymorphe et intéressé.
Par Ifrikia Kengué
Article initialement paru sur Jeuneafrique.com
Avec leur réputation de beaux-parleurs, les Congolais se targuent d’être des séducteurs en puissance. Pour eux, conquérants en diable, aucune citadelle n’est imprenable. Et pour arriver à leur fin, ils ont développé différentes techniques qu’ils jugent chacun infaillibles.
« Mlle, tu me plais, j’ai envie de toi ».
Pas besoin de tergiverser, il suffit d’aller droit au but. On tente sa chance à tout moment et on y va tout de go. Ici, le vouvoiement n’est pas de rigueur, il s’agit de rompre toutes les barrières possibles. « Moi, je n’ai pas de temps à perdre, si je vois passer une fille qui me plait, je l’accoste et lui dit tout de suite ce que je veux », raconte sereinement Sorel. C’est aussi l’occasion de tester son sex-appeal, de voir si sa mine ne s’est pas émoussée. « Un homme ça doit vérifier si son crayon est toujours aussi bien taillé », ajoute-t-il dans un sourire.
« Quand tu veux acheter des cacahuètes, tu demandes le prix et tu achètes, pareil avec une fille, tu lui fais la proposition et si elle dit non, tu vas voir ailleurs, les femmes, ce n’est pas ce qui manque », décrète quant à lui Patrick. Une opinion aux accents misogynes qui trouve souvent écho auprès de la gent masculine congolaise.
Et les femmes dans tout ça ? La plupart considère cette pratique pour le moins insultante. «Tous les jours, je rencontre des hommes qui m’abordent comme ça. On ne relève même plus tellement on a fini par s’habituer à ces vieilles manières de rustres », déplore Sheila, 21 ans, étudiante. Franche, quant à elle renchérit « Je croise souvent des hommes qui me disent directement ‘‘j’ai envie de coucher avec toi’’. On voit tout de suite ce qu’ils attendent de nous ». Une indélicatesse qui a souvent du mal à passer et qui tue dans l’œuf toute romance possible.
Toutefois, les hommes peuvent compter sur un atout non négligeable: le matériel. Les signes extérieurs de richesse rendraient ainsi les hommes très sexys. L’argent ou le pouvoir leur confère un regain de virilité et d’audace. Les plus puissants ne draguent même plus, mais envoient leurs « petits » pour s’en occuper. « Ceux qui draguent sont ceux qui sont en ballotage défavorable » rélève Ciry, homme d’affaire de 50 ans.
L’art du ‘‘baratinage ’’ : « Viens j’ai des fruits d’or ! »
Si certains font dans la manière forte, d’autres préfèrent user de plus de subtilité. Procédé qui n’en demeure pas moins insidieux. Beaucoup ont recours à des subterfuges pour camoufler leurs intentions prédatrices. « Il vaut mieux ne pas effrayer la proie, livre Espin, les filles sont sensibles et naïves».
« Si tu repères une fille, pour ne pas l’effrayer, vaut mieux ne pas lui dévoiler d’abord tes intentions. Tu la mets en confiance, et dès qu’elle sourit, l’affaire est dans le sac », explique Gildas. Dans ce cas-ci, il s’agit plus de courtiser que de draguer. Les filles préférant, en général, les garçons aux bonnes manières. « Quand un homme me parle poliment, je suis plutôt partante pour partager un verre avec lui», confie Gloria qui se sent ainsi valorisée.
Pour avoir les faveurs d’une femme, il faut souvent y mettre du sien. Et, parfois, les Congolais n’y vont pas de main morte. C’est ici l’occasion de démontrer sa verve et toute son éloquence. «Tout le monde sait que les femmes sont sensibles aux mots. Pour qu’elles succombent il s’agit de faire les plus belles phrases afin de toucher leur corde sensible », lance Davy en fin psychologue.
Beaucoup ont pour référence les poèmes français, les phrases des téléfilms cultes ou de séries télés à l’eau de rose. Certains préfèrent passer des heures entières en compagnie d’un dictionnaire de l’amour pour trouver le vocabulaire adéquat. C’est ainsi que Victor Hugo est entré au panthéon congolais de la drague. « Viens j’ai des fruits d’or, j’ai des roses, j’en remplirai tes petits bras, je te dirais de douces choses, et peut-être tu souriras… à chaque fois que je disais ce poème à une fille, elle était aux anges », déclame Freddy.
A côté de ces belles phrases, certains osent des formules plus envolées encore et parfois bien mystérieuses. On notera quelques perles d’anthologie: ‘‘ Ma chérie, quand je te vois, mon cœur devient congélateur » ou « « tu es la racine cubique de mon cœur » ou alors le célèbre « Demande moi ce que tu veux, s’il faut que j’aille sur la lune…j’irai, te cueillir les étoiles avec les dents… je le ferai… ’’
Les femmes aussi
La drague n’est pas l’apanage de la seule gent masculine. Signe des temps et de leur émancipation, les femmes aujourd’hui ont également mis aux points des stratégies pour courtiser ces messieurs. Tout est dans la séduction. Le regard et l’habillement sont autant d’éléments qui entrent en action. «Quand un homme me plaît, je n’attends plus qu’il fasse le premier pas. C’est moi qui me lance», révèle Dora, une lueur amusée dans le regard.
Toutefois une femme qui drague un homme reste souvent mal perçue par la société congolaise et sera prompt à être considérée comme une femme de petite vertu. Cette injustice sociale qui fustige chez la femme ce qu’on valorise chez l’homme n’est pas propre qu’au Congo. Un Don Juan est un homme à femmes et une femme à hommes est une pute.
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