Spectaculaires fuites au bac général 2015 au Congo. Propagées la veille de chaque épreuve par des médias en ligne, sur les réseaux sociaux ou via des applications mobiles, ces fuites portent préjudice et décrédibilisent l’examen d’Etat et interrogent sur les différentes responsabilités.
Brazzaville. Il est 22h quand Francis, étudiant à la fac de lettres reçoit un texto lui demandant de traiter un sujet pressenti le lendemain à l’épreuve de français de la série A4. Un libellé qui se confirme le lendemain, jour de ladite épreuve.
Les témoignages sur les fuites sont nombreux et viennent principalement des grandes villes, notamment de Brazzaville et de Dolisie. Des sujets récupérés chaque jour la veille du début des épreuves.
« Il y a plusieurs groupes d’élèves qui se cotisent. On réunit jusqu’à 300 000 frs CFA (450 euros) voire 400 000 frs CFA (610 euros) que nous remettons à quelqu’un », témoigne un lycéen de Dolisie qui a préféré garder l’anonymat.
« Nous désignons un chef de groupe qui va soit négocier avec un des membres du jury ou une personnalité influente de la ville qui a accès aux matières. Donc le deal c’est qu’il nous donne un des sujets, souvent très tard pour ne pas que ça s’ébruite trop. Après nous nous envoyons des messages pour nous passer le sujet », poursuit-il.
Certains élèves ne peuvent résister à la confidence et partagent leurs informations avec d’autres camarades. Dès lors l’information se répand comme une traînée de poudre.
« Depuis lundi, je reçois tous les soirs des messages avec un des sujets. Je le fais traiter par un grand frère le soir-même. Je n’étais pas certaine que c’était le bon sujet, mais c’est bien ce qui est arrivé », révèle Graça, lycéenne brazzavilloise.
« J’ai des appels et des messages d’élèves qui me sollicitent pour traiter des sujets qu’ils auraient reçus », témoigne pour sa part Richard, professeur de philosophie dans un lycée public de Brazzaville.
Responsabilités ?
Les élèves coupables et complices ? Pas vraiment. « Moi je n’en veux pas aux élèves. On ne fait qu’en profiter parce que c’est comme ça que ça marche. Quand tu vas dans un village si tout le monde danse sur un pied, il faut faire de même sinon on vous prend pour un fou », ironise ce lycéen de Brazzaville.
Dés lors, à qui la faute ?
« On ne peut se prononcer sur une fuite que lorsqu’on retrouve, avant les épreuves, tout le libellé d’un sujet en possession d’un élève ou d’une tierce personne », explique un ancien inspecteur pédagogique à la retraite.
Ce n’est qu’en remontant la filière à partir de celui qui a les éléments et en trouvant comment il a pu l’obtenir qu’on peut décréter officiellement des cas de fuite et prendre des mesures « , poursuit-il.
Irresponsabilité du Web
Ce sont les réseaux sociaux et des applications mobiles, comme Whatsapp et Viber, qui ont contribué à la propagation des fuites. Pire, l’irresponsabilité de certains médias Web, en mal de scoop, y a également largement contribué.
Ces médias, pensant dénoncer les fuites, les reprennent et les publient en ligne… avant lesdits examens ! Parfois même quelque 10 heures avant les épreuves, participant ainsi à la diffusion massive des fuites et à jeter l’opprobre sur la déontologie des professionnels du journalisme 2.0.
Politique de l’autruche
Ces fuites fragilisent l’administration de l’enseignement primaire et secondaire et remettent en cause le circuit de diffusion des sujets. D’autant plus que les documents qui circulent portent le cachet de la Direction des Examens et Concours (DEC) et du ministère de l’Enseignement primaire et secondaire chargé de l’alphabétisation.
« A la base, les sujets sont élaborés par un comité qui comprend des enseignants et des inspecteurs. Puis ils font l’objet d’un tirage au sort au niveau de DEC qui a également la charge de les mettre sous pli », explique un inspecteur pédagogique en retraite.
Les enveloppes contenant les sujets sont scellées dans des malles, stockées à la DEC, puis acheminées dans les différents centres d’examen à travers le pays. Et leur sécurité est confiée à la police nationale.
Amer, un professeur de philosophie d’un lycée de Brazzaville, pour qui ces situations répétées de fuites relèvent d’une responsabilité partagée, témoigne :
« Officiellement, rien ne se sait. Même si c’est un secret de polichinelle pour tout le monde. Le responsabilités sont partagées.
Il y a un problème de niveau des élèves, de formation des enseignants et de gestion administrative. Les premiers ne sont plus soumis au redoublement, tous les élèves à la fin de l’année sont admis, moyennant finance.
Le niveau des enseignants est de plus en plus faible et il y de graves défaillances dans la gestion administrative dans l’Education nationale. Ce qui révèle un vrai manque de compétences », estime-t-il blessé dans son amour-propre professionnel.
Tout le monde y gagne … sauf le pays
Quelques écoles privées en profitent pour faire de bons scores et ainsi s’attirer de nouveaux élèves en affichant des taux de réussite records. Les responsables d’établissement allant jusqu’à appeler leurs élèves pour préparer, en pleine nuit, avec eux les sujets révélés.
L’actuelle situation n’est malheureusement pas une première dans le pays. Les éditions du bac font régulièrement l’objet de fuites. Mais le cru 2015 reste le plus spectaculaire, avec un assourdissant silence des autorités.
Si beaucoup de gens, fatalistes, accordent une certaine normalité à la situation, ils comptent sur un durcissement des corrections pour atténuer l’effet de fraude à ciel ouvert. Une posture de complicité passive qui masque les sinistres conséquences de la pratique.
Le bac est un examen qui donne notamment accès à la fonction publique. Fonction publique qui gère toute l’administration du pays et ce sont ces « diplômés » qui sont appelés à en prendre demain les rênes…
Par ailleurs, le bac congolais est de plus en plus décrédibilisé. Il ne donne plus accès à certaines études à l’étranger et limite ainsi le développement des compétences et d’ouverture culturelle des Congolais.
Baccalauréat 2015 : 1, Congo : 0
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